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Madagascar : projet de loi fixant le régime juridique de l’immatriculation et de la propriété foncière titrée

Le projet de loi fixant le régime juridique de l’immatriculation et de la propriété foncière titrée doit faire l’objet d’un débat national [1]

Les projets de loi sacrifiant l’avenir de la majorité des Malgaches et des générations futures pour faire plaisir aux investisseurs étrangers continuent d’occuper le temps et les réflexions des instances de l’Etat malgache.

Depuis la Lettre ouverte à Monsieur le nouveau Premier Ministre au mois de mai 2016 qui dénonçait le projet de loi visant à légaliser la cession généralisée et définitive des terres malgaches aux étrangers [2], les responsables du Ministère chargé du Foncier ont seulement changé le numéro de l’article concerné dans le projet de loi qui risque d’être soumis à l’Assemblée nationale, en le déplaçant du numéro 8 vers le numéro 10.

Nous alertons de nouveau tous les citoyens malgaches, les membres des commissions d’étude des projets de loi des différents ministères ainsi que les députés et sénateurs, sur quelques aspects dangereux de ce projet de loi.

[*L’attribution de titres fonciers et des mêmes droits aux personnes, « quel que soit leur nationalité et leur statut juridique » est suicidaire pour la nation malgache.*]

Selon l’article 10 de la nouvelle version du projet de loi, « L’immatriculation des immeubles [et /ou l’inscription des droits mentionnés et énumérés à l’article 14] peuvent être demandées par le propriétaire ou par un titulaire de droits réels immobiliers quel que soit leur nationalité et leur statut juridique. » [3]

La lecture de cet article amène à penser que les personnes et structures étrangères pourront obtenir des titres fonciers et avoir exactement les mêmes droits de propriété que les Malgaches, alors que cet article a pour objet de préciser les personnes habilitées à demander la publicité foncière, c’est- à - dire l’inscription de droit foncier dans le livre foncier.

Cet article manque de clarté et risque d’être interprété comme une échappatoire aux dispositions juridiques interdisant aux personnes de nationalité étrangère d’être propriétaires de parcelle de terre sur le territoire de Madagasikara. L’expression « …par le propriétaire ou par un titulaire de droits réels immobiliers quel que soit leur nationalité et leur statut juridique » est imprécise car juridiquement le mot ‘propriétaire’ et l’expression ‘titulaire de droit réels’ sont équivalents. Dans la formulation actuelle de ce projet de loi, le propriétaire est titulaire de droit réel c’est-à-dire qu’il a un droit réel sur une parcelle de terre. Le droit réel a pour définition « un droit qui porte sur un bien ». Ainsi, par le biais de cet article les personnes de nationalité étrangère ont aussi le droit d’acquérir un titre foncier en tant que propriétaire.

Pour que cet article soit en cohérence avec les dispositions juridiques interdisant la vente de terre aux étrangers à Madagascar, il devrait préciser que l’inscription des droits fonciers des personnes de nationalité étrangère se limite à des droits de propriété démembrés comme l’usufruit, ou encore l’emphytéose et le droit de superficie.

Tout projet d’attribution des mêmes droits sur les terres aux Malgaches et aux personnes d’autres nationalités renforce le risque de voir la totalité du territoire approprié par les personnes incomparablement plus riches et plus puissantes que les paysans et la majorité des citoyens malgaches. En effet, les simples citoyens malgaches non richissimes s’avèreraient rapidement perdants dans la concurrence pour l’achat et l’immatriculation des terrains car les moyens ne sont pas du tout identiques.

De plus, cette appropriation sera définitive et inattaquable comme le précise l’article 45 du projet de loi.

Cette proposition de l’article 10 aggrave ainsi la législation malgache par rapport à la perte de protection des droits des citoyens sur leurs terres. Une loi telle que la loi sur les investissements 2007-036 [4]. - que nous contestons également depuis des années - autorisait déjà l’achat de terres par les sociétés à capitaux étrangers, mais des réserves limitaient encore l’appropriation de terres par des individus étrangers dans les lois sur le Foncier.

La terre est en effet devenue une valeur refuge pour les investisseurs dans le monde entier. La beauté de notre pays riche en biodiversité et en ressources naturelles et le prix des terres très bas à Madagascar en comparaison avec les prix sur le marché mondial, accroitront les convoitises des investisseurs et spéculateurs.

Mais les dirigeants et décideurs nationaux semblent avoir fait le choix de céder aux sirènes de certains organismes internationaux et investisseurs étrangers qui les poussent à changer les lois au détriment des intérêts de la nation malgache [5]. Qu’obtiennent-ils en échange de cela ? Accorder des titres fonciers à tous les étrangers provoquera en effet une nouvelle colonisation du peuple malgache [6] mais ne mènera pas au développement [7] de la majorité de la population qui vit du travail de la terre mais ne possède pas de titre foncier

La Solidarité des Intervenants sur le Foncier – SIF – et le Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY, demandent aux décideurs aux différents niveaux

- de clarifier et de mieux informer l’ensemble des citoyens malgaches sur ce projet de loi,

- de donner à la population l’opportunité de connaître les conséquences d’une telle décision sur les risques d’éviction et d’expulsion de toutes les familles de paysans et simples citoyens malgaches de leurs terres et de l’absence d’une terre nourricière et d’un territoire national pour les générations futures,

- de faire participer la population au processus décisionnel sur ce sujet crucial et de réellement prendre en compte les avis émis par les représentants aux réunions de concertation,

avant de prendre la lourde responsabilité de brader un bien commun aussi précieux pour les Malgaches que l’ensemble des terres de la Grande Ile.

[*D’autres aspects du projet de loi sont très contestables*]

Lors de son discours de présentation des vœux, le 8 janvier 2016, le président de la République Hery Rajaonarimampianina avait promis que les terrains de grande superficie non exploités par leurs propriétaires seraient saisis par l’Etat puis redistribués aux occupants [8]. Pourquoi la redistribution de ces terrains titrés aux occupants ne figure-t-elle pas dans le projet de loi actuel alors que la réquisition par l’Etat de terrains titrés non exploités pendant 10 ans est mentionnée à l’article 79 du « projet de loi fixant le régime juridique de l’immatriculation et de la propriété foncière titrée » ? Les responsables ont-ils changé d’avis et fixé d’autres objectifs pour ces terrains ? Les expériences concrètes sur l’absence fréquente de redistribution aux occupants des terrains titrés au nom des colons et de ceux impliqués dans des opérations cadastrales inachevées dans le passé devraient amener les responsables à tirer des leçons et à accélérer la redistribution effective aux occupants [9].

La nécessité de transformer les certificats en titres fonciers en cas de réalisation de diverses procédures, mentionnée dans l’article 27 du projet de loi, manifeste une volonté de remettre en difficultés les paysans et petits exploitants qui avaient fourni l’effort de légaliser leurs terrains par un certificat foncier, document moins coûteux et plus accessible pour eux que le titre, en plus de la non-reconnaissance des lois liées à la réforme foncière de 2005.

Pourtant, lors d’une table ronde entre les représentants des syndicats des employés des services des domaines et de la conservation foncière, les organisations de la société civile, les partenaires techniques et financiers et les responsables du Ministère auprès de la Présidence en charge des Projets Présidentiels, de l’Aménagement du Territoire et de l’Equipement (MEPATE), le Ministre en charge du Foncier ainsi que le Conseiller spécial du Président de la République avaient annoncé publiquement le non-retour à la décision juridique tranchée à l’issue des décisions politiques de 2005. En outre, le Ministre en charge du Foncier de l’époque, Monsieur Rivo Rakotovao avait adressé une lettre aux partenaires techniques et financiers pour préciser qu’il ne changera pas l’assise du certificat foncier en tant que preuve de droit de propriété foncière officielle au même rang que le titre foncier.

La prise de décision par un tribunal terrier ambulant uniquement composé d’agents du service des domaines dans les conflits liés aux cadastres inachevés (art 34) ou au Livre foncier détérioré (art 53) ou par un tribunal terrier spécial constitué par un magistrat et 7 fonctionnaires des services fonciers (art 60 et suivantes) est inacceptable car le personnel des Services des Domaines devient à la fois juge et partie dans le cadre de tribunaux d’exception. Des investigations plus poussées mettant en œuvre le témoignage des voisins et la participation systématique et plus importante de juristes s’avèrent essentielles.

De plus, la séparation des pouvoirs, image de l’Etat de droit, n’est pas respectée dans ces articles du projet de loi. Les juges de ces tribunaux terriers ne sont autres que des agents du pouvoir exécutif, les inspecteurs des domaines. En outre, dans la plupart des cas, les tribunaux terriers sont logés dans les bureaux des services fonciers. Diverses doléances reçues par les organisations de la société civile évoquent le manque d’impartialité de juges inspecteurs des domaines de ces tribunaux terriers.

La SIF et le Collectif TANY réitèrent leur demande aux techniciens et autorités malgaches d’arrêter de concevoir des lois qui menacent les familles malgaches d’une exclusion des terres qu’elles cultivent pour se nourrir

La mise en place de lois en faveur de l’intérêt de la majorité des Malgaches et la transparence de la part des différentes structures de l’Etat sur tous les projets de loi concernant les terres malgaches sont une revendication permanente des organisations de la société civile [10].

La SIF et le Collectif TANY rappellent que la demande de transparence sur les terrains du domaine privé de l’Etat déjà attribués par leur affichage sur un site internet n’a toujours pas obtenu satisfaction. Des séries d’inventaires de ces terrains ont pourtant été réalisées depuis quelques années sur financement des bailleurs de fonds.

La SIF et le Collectif TANY recommandent fortement aux paysans, aux communautés locales et à tous les citoyens de mobiliser leur vigilance, de s’informer sur le statut de toutes les terres dans chaque fokontany, chaque commune, de chercher à mieux connaître les lois en vigueur ainsi que les projets de loi, et de participer en groupe à la gestion et aux décisions sur les terres face aux menaces évidentes qui pèsent sur les terres malgaches [11].

12 novembre 2016

Plateforme Solidarité des Intervenants sur le Foncier

sif@blueline.mg

www.sif-mada.mg

Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY

patrimoine.malgache@yahoo.fr

www.terresmalgaches.info

[1« Projet de loi n°2016___ fixant le régime juridique de l’immatriculation et de la propriété foncière titrée » Version 2.0-1.

[2Lettre ouverte à Monsieur Le Premier Ministre Mahafaly Solonandrasana Olivier :
http://terresmalgaches. info/spip.php ?article120

[3Les auteurs de ce communiqué ont mis certains mots en caractères gras à la fin de la citation.
Cet article 10 portait le n° 8 dans la version précédente commentée dans la Lettre ouverte ci-dessus.
Article 14 - Sont inscrits sur le livre foncier, aux fins de transfert de droit et d’opposabilité de ce droit aux tiers :
a) Les droits réels immobiliers suivants :
- la propriété immobilière : immeubles et lots de copropriété ou de lotissement ;
- l’usufruit de la même propriété établie par la volonté de l’homme ;
- les droits d’usage et d’habitation ;
- l’emphytéose ;
- les droits de superficie ;
- les servitudes ;
- le Fehivava, et l’antichrèse
- les privilèges et hypothèques,
- les métayages ;
b) Les baux
c) Les droits soumis à publicité en vertu des a) et b), résultant des actes ou décisions ou demandes visant la résolution, la révocation, l’annulation ou la rescision d’une convention ou d’une disposition à cause de mort.
Toutefois, les servitudes qui dérivent de la situation naturelle des lieux ou qui sont établies par la loi sont dispensées d’inscription au livre foncier.

[4Selon l’article 99 du projet de loi, « Les dispositions spécifiques relatives à l’accession à la propriété foncière pour les étrangers restent soumises à la loi 2007.036 du 14 Janvier 2008 sur les investissements à Madagascar »

[5Cf.(2) http://terresmalgaches.info/spip.php?article120 références 7, 8, 9, 10

[6Cf.(2) http://terresmalgaches.info/spip.php?article120 page 3

[7Cf.(1) http://terresmalgaches.info/spip.php?article120 page 2

[8http://www.mepate.gov.mg/execution-du-discours-presidentiel-gratuite-de-la-mutation-par-deces-et-redistribution-aux-occupants-des-terrains-titres-a-grande-superficie-abandonnes-par-les-proprietaires/

[9Enjeux fonciers dans l’Itasy : réconcilier l’obsolète et le présent : http://gasy.net/fr/video/clip/144062/enjeux-foncier-dans-l-itasy-reconcilier-l-obsolete-et-le-present.html

[10Sauvons les paysans malgaches des nouvelles menaces sur leurs terres – pétition lancée par SIF et Collectif TANY le 3 octobre 2015 : http://terresmalgaches.info/spip.php?article101 ;

[11http://terresmalgaches.info/spip.php?article61