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Gestion décentralisée ou locale du foncier ? Le cas du Niger

Résumé

En Afrique de l’Ouest, la décentralisation de la gestion foncière rurale est considérée comme la voie à suivre par nombre d’acteurs. À travers les commissions foncières (Cofo), le Niger a cependant mis en place depuis plus d’une décennie un système original de gestion locale du foncier rural avant même le processus de décentralisation. Cette fiche présente les acquis et difficultés du système de gestion foncière locale résultant des commissions foncières et questionne son articulation avec le processus nouveau de la décentralisation.

Les acquis et faiblesses du système de gestion foncière locale

En 1993, le Niger a procédé à une réforme de son système foncier. L’objectif poursuivi par cette réforme est la sécurisation effective des producteurs ruraux et la création d’un environnement de gestion locale concertée des ressources naturelles. Dans ce cadre, des institutions de gestion de proximité du foncier rural ont été mises en place: ce sont les Commissions foncières(Cofo).

À travers leurs activités, les Cofo ont permis de prévenir et réduire les conflits dans les principaux foyers de tensions foncières; elles ont également contribué à améliorer l’accès équitable et sécurisé des populations rurales aux ressources naturelles.

Cependant, bien qu’elles soient aujourd’hui installées sur l’ensemble du territoire national, les performances des Cofo sont le plus souvent limitées par des faiblesses liées à leurs modalités d’organisation et de fonctionne- ment ainsi qu’aux difficultés de mise en œuvre effective de la loi de 1993 portant « principes d’orientation du Code rural », dans un contexte de permanence des pratiques coutumières matière de gestion foncière.

Les acquis du système: la disponibilité de services fonciers de proximités aux différents échelons territoriaux

Le paysage institutionnel de la gestion du foncier rural au Niger est aujourd’hui celui ci-après :

– plus de 3 000 villages et tribus sur 15 000 sont dotés de Cofo de base ;

– 145 communes sur les 265 communes urbaines et rurales sont dotées de Cofo communales ;

– les 36 départements du pays ont tous leur Cofo départementale ;

– chacune des 8 régions du pays dispose d’un Secrétariat permanent régional du Code rural ;

– au niveau national, les activités de tous les organes régionaux et locaux sont coordonnées par le Secrétariat national du Code rural, placé sous l’autorité d’un Comité national du Code rural.

La Cofo constitue la cheville ouvrière du dispositif de mise en œuvre de la réforme foncière. Organe paritaire comprenant d’une part des représentants de l’État et d’autre part, les élus locaux, les autorités coutumières, et des représentants des producteurs ruraux, la Cofo est considérée comme l’instance la plus appropriée pour assurer des processus de prise de décisions tenant compte de la spécificité foncière de chaque localité. La Cofo doit, à chaque échelle territoriale concernée, regrouper en son sein l’ensemble des acteurs clés de la gestion du foncier rural; mais dans le même temps, on observe que l’État et les collectivités territoriales y occupent une place importante. Cela se manifeste notamment par la représentation des services techniques au sein des Cofo mais surtout par le fait qu’au niveau communal, la Cofo est présidée par le maire et, au niveau départemental, par le préfet.

Les Cofo sont dotées de compétences de proximité s’exerçant sur toutes les catégories de terres et de ressources naturelles de la localité.

Les missions des Cofo

  • La vulgarisation des textes.

  • La délivrance des titres fonciers sur des terres individuelles ou indivises.

  • La délivrance des titres de droit d’usage prioritaire aux pasteurs sur leurs terroirs d’attache.

  • Le recensement, la délimitation et la matérialisation des ressources communes (couloirs de passage du bétail, enclaves pastorales et autres aires de pâturage, forêts, points d’eau publics, etc.).

  • Le constat par écrit des transactions foncières (vente, don, location, prêt, gage coutumier).

  • L’établissement et la conservation des dossiers ruraux.

  • La préparation des concessions rurales.

  • La participation à l’établissement des schémas d’aménagement foncier.

  • Le contrôle de la mise en valeur des ressources naturelles.

Les Cofo exercent effectivement toutes leurs missions, mais, en général, grâce aux appuis financiers, logistiques et techniques des projets et programmes qui appuient le processus de mise en œuvre du Code rural.

La Cofo est une institution administrative locale autonome. Les décisions de la Cofo ont donc la qualité d’actes administratifs et sont par conséquent susceptibles de recours administratif hiérarchique adressé au préfet ainsi que d’un recours pour excès de pouvoir devant les juridictions administratives compétentes, selon la procédure légale.

Les faiblesses du système :quelle légitimité et pérennité des Cofo ?

Les Cofo demeurent soumises à des faiblesses quasi structurelles. Les faiblesses identifiées concernent notamment:

i) la difficulté d’identifier les représentants légitimes, notamment ceux qui y siègent au titre des catégories de producteurs ruraux;

ii) l’insuffisance d’outils adéquats d’information et de vulgarisation;

iii) la trop grande mobilité de certains membres, notamment les représentants des services techniques;

iv) l’irrégularité de la tenue des assemblées générales de la Cofo;

v) l’insuffisance d’équipements et de moyens de fonctionnement.

On ajoutera enfin que bien que conçues pour fonctionner sur les contributions directes du budget de l’État et des collectivités territoriales, les Cofo affichent aujourd’hui une trop grande dépendance vis-à-vis des appuis extérieurs, notamment des projets de développement, ce qui amène à s’interroger sur leur pérennité.

Sur un autre plan, la place toujours prépondérante des autorités coutumières dans la gestion foncière locale est de nature à amenuiser l’efficacité du nouveau système de gestion foncière locale mis en place. Dans la pratique en effet, les attributions traditionnelles de gestion foncière des autorités coutumières ne sont que très peu entamées sur le terrain, ce qui de fait met en présence deux systèmes parallèles de gestion du foncier au niveau local.

Bien que membres de la Cofo et parties prenantes de ses activités, les autorités coutumières continuent de procéder conformément aux us et coutumes, à des attributions de terres, organisent la gestion des ressources naturelles et procèdent quelquefois à des perceptions à leur profit exclusif, de redevances sur l’exploitation de certaines ressources naturelles ( natron par exemple).

Il faut ajouter que les autorités coutumières disposent d’une importante prérogative en matière de résolution des conflits fonciers. Selon la loi en effet, toute procédure judiciaire relative à un conflit foncier doit être obligatoirement précédée d’une tentative de conciliation devant les autorités coutumières. Ce rôle des autorités coutumières en matière de gestion des conflits fonciers fait d’eux une catégorie d’acteurs locaux particulièrement puissants, surtout dans le contexte actuel de raréfaction des ressources.

Le système de gestion foncière locale a été voulu consensuel, pour permettre à la Cofo de prendre en compte les préoccupations de toutes les catégories d’acteurs dans les processus de prise de décision. Mais la Cofo semble être impuissante dans le cas d’attribution de concessions foncières à certaines catégories de personnes, notamment les investisseurs privés étrangers.

Les Cofo doivent, selon la loi, donner leur avis dans toute procédure d’attribution de concession rurale pouvant déboucher sur l’acquisition d’un droit de propriété. Dans la pratique, les Cofo ne sont qu’« informées » ou

« instruites » lorsqu’il s’agit de demandes émanant d’hommes d’affaires, d’hommes politiques ou d’investisseurs étrangers. Ceci est d’autant plus regrettable que ces acteurs demandent généralement d’importantes superficies de terres rurales, particulièrement en zone pastorale.

Le cas le plus illustratif est celui de l’octroi récent en 2006, de trois titres de concessions rurales dans la vallée du fleuve Niger (région de Dosso), à deux groupes d’investisseurs du Royaume d’Arabie saoudite, portant sur une superficie totale de 15 922 hectares. Dans le cadre de cette attribution, les Cofo de la région ont été très peu impliquées, alors que c’est à elles qu’il revenait d’inscrire lesdites concessions dans leurs dossiers ruraux respectifs et par la suite de donner un avis sur l’éventuel octroi futur de titre définitif de concession.

Le système de gestion foncière locale à l’épreuve de la décentralisation

La réforme décentralisatrice est matérialisée par des lois de 2003 qui ont servi de base à l’organisation des premières élections locales en 2004. Selon ces lois, désormais, il y a une redistribution des pouvoirs de décision en matière de développement entre l’État et les collectivités territoriales. Cette redistribution des pouvoirs s’opère notamment à travers le transfert d’une partie des compétences de l’État au profit des collectivités territoriales. La décentralisation a fait de la prise en compte de la question foncière et de la gestion des ressources naturelles un des axes centraux du développement local durable.

Un des défis majeur pour le processus de développement local est de répondre de manière efficace à la demande croissante de sécurisation foncière des producteurs ruraux par la mise en place d’un dispositif cohérent, impliquant les collectivités territoriales.

La recherche d’une harmonisation des interventions des acteurs locaux

L’analyse des dispositions des textes de la décentralisation permet de mettre en lumière que les entités décentralisées ont finalement très peu de compétences en matière de gestion foncière. En effet, la loi sur le transfert de compétences est très restrictive: elle dispose simplement que l’État peut transférer des compétences relatives au « domaine foncier des collectivités territoriales ». Il faut donc comprendre que par cette dis- position, les collectivités territoriales n’ont de compétences qu’en ce qui concerne le domaine de la collectivité à l’exclusion de toute compétence en matière de gestion des droits fonciers des particuliers. Cette position du législateur est cependant compréhensible dans la mesure où des institutions spécialisées (celles du Code rural) avaient été créées pour assurer la gestion des droits fonciers des particuliers en milieu rural.

La mise en cohérence du processus du Code rural et de la réforme décentralisatrice semble passer par une confirmation de l’autonomie des Cofo par rapport aux organes des collectivités territoriales.

La confirmation de l’autonomie des Cofo

À travers la gestion du foncier rural par les commissions foncières, ce qui est recherché c’est la mise en place d’un système local qui peut échapper aux aléas et vicissitudes des réformes administratives. L’analyse comparative des dispositions relatives à la gestion foncière par les organes locaux décentralisés et les attributions des Cofo permet de relever que les textes de la décentralisation ne provoquent pas de bouleversement dans les missions des Cofo dont le rôle est d’assurer la gestion rationnelle et la sécurité des droits des acteurs ruraux. Pendant ce temps, les collectivités locales propriétaires de leurs domaines en assurent la mise en valeur et la gestion conformément à la réglementation en vigueur. L’approche nigérienne conduit à conclure que la décentralisation ne conduit pas forcément à la gestion décentralisée du foncier. Cette expérience instruit plutôt sur la recherche d’une cohérence et d’une synergie d’actions entre les organes des collectivités territoriales et les institutions locales, les Cofo, émanant de l’État et préexistant au processus de la décentralisation.

Bibliographie

Sur la gestion foncière par les commissions foncières

  • Malam Kandine A. et Maman Sani S., {Étude sur la viabilité et

la participation des organisations communautaires aux activités des Cofo à travers les expériences de Gaya et de Mirriah}, Bureau de la Coopération suisse, octobre 2002, p.49-51.

  • Merlet M., Herault D., Yacouba M. et Hassane A., Contribution

à l’élaboration d’une stratégie de sécurisation foncière des différents usagers des ressources naturelles}, « Appui au Plan national de l’Environnement pour un développement durable », DAP-PNEDD, Haute Tarka et Téra Nord, Pnud, décembre 2001.

Sur la problématique foncier et décentralisation

  • Étude sur « L’opérationnalisation des transferts de compétences », pour le compte du Haut Commissariat à la modernisation de l’État (HCME), octobre 2006.

  • Étude sur la problématique du domaine foncier des collectivités, Haut Commissariat à la modernisation de l’État (HCME), rapport final août 2006.

  • Malam Kandine A. et Herault D., Rapports institutionnels entre les structures de mise en œuvre du Code rural (Cofo et SP) et les collectivités territoriales (Communes), Danida, octobre 2004.

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