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Fonds documentaire dynamique sur la
gouvernance des ressources naturelles de la planète

Organisation communautaire et action collective

Comment créer ou renforcer les capacités pour la gouvernance collective des ressources communes ?

Résumé

Cet article s’inscrit dans l’effort de synthèse et de réflexion collective organisées par AGTER à partir des études réalisées au Guatemala et au Cameroun sur la gouvernance des forêts et les droits des populations des territoires forestiers.

L’auteur est guatémaltèque. Il travaillait avec ACOFOP, Association des Communautés Forestières du Peten. Il a participé au voyage d’étude et aux échanges qui ont eu lieu au Cameroun du 23 août au 10 septembre 2012.

Le document traite de l’importance de l’organisation et des luttes, et des possibilités de renforcer les capacités d’action des populations. L’auteur s’appuie sur son expérience à la direction d’ACOFOP, sur les analyses comparées réalisées dans les deux pays et sur ses observations lors du voyage.

La gestion collective des ressources naturelles: évolution du débat théorique

Il convient de poser d’ores et déjà que, dans l’esprit de ce document de réflexion, nous définissons comme bien commun, les biens naturels qui sont d’usage collectif et constituent un moyen d’existence partagée, au centre d’une forme primaire de relation entre l’Homme et son environnement.

Pour commencer cette analyse, il est nécessaire d’évoquer deux théories très importantes qui ont trait à la définition des biens collectifs

  • D’une part, Garret Hardin, dans « La tragédie des communs » affirme: « la ruine est le destin auquel se condamnent tous les hommes, poursuivant chacun leur intérêt propre, dans une société qui croit en la liberté des biens communs »1. Partant de cette affirmation, ceux qui s’approprient ces ressources font le jeu de la stratégie dominante: celle de la non-coopération. Dans ce cadre la tragédie du bien commun est évidente.

  • À l’inverse, Elinor Ostrom expose son propre « dilemme du prisonnier »: « tant que les individus seront vus comme prisonniers, les prescriptions politiques prendront cette métaphore comme référence. C’est pourquoi, je préfère aborder la question de comment augmenter les capacités des participants pour changer les règles coercitives du jeu afin d’atteindre des résultats différents des impitoyables tragédies »2.

Dans des pays comme le Cameroun et le Guatemala, on a tenté d’empêcher que les communautés administrent leurs ressources, prétextant le manque de capacités techniques, d’installations et de capital. Et ce, sans se rendre compte que chacune de ces communautés a maintenu ses propres formes de régulation interne concernant l’usage des ressources. Ce document prétend susciter la réflexion des habitants des zones rurales et forestières sur leur co-dépendance vis-à-vis des ressources naturelles et sur l’auto-évaluation du rôle qu’ils assument pour que ces ressources subsistent dans le long terme pour leur bénéfice et celui des générations futures.

Forêts en gestion collective

Il y a eu des avancées importantes dans la reconnaissance des droits des populations locales et de leur capacité à prendre soin des ressources forestières. Les analyses réalisées par le groupe d’étude de l’initiative pour les Droits et les Ressources (RRI pour son sigle en anglais) au niveau global démontrent que la zone forestière reconnue comme propriété de, ou contrôlée par les peuples indigènes et les communautés locales a augmenté de 10% en 2002 à 15% en 2012. Dans les pays en voie de développement, cette augmentation est passée de 21 à 31 %. La quantité de textes législatifs qui reconnaissent ou renforcent les droits sur les forêts et à la terre pour les peuples indigènes ainsi que pour les communautés locales a également connu une hausse impressionnante, avec rien moins que 50 lois allant dans ce sens approuvées depuis 1992 .

Toutefois, ces avancées ne tiennent pas compte de la nécessité de renforcer la gestion communautaire de ces ressources. Les paragraphes suivants seront consacrés à discuter les modalités et des étapes à suivre pour consolider ces organisations locales de gestion des ressources naturelles.

Observons ce qui se produit avec la création des aires naturelles protégées. Celles-ci se superposent à des territoires historiquement gérés par des communautés traditionnelles, les érigent en forêts strictement protégées, ignorant qu’avant d’être classifiées comme telles, des gens y vivaient. Cela a pour but de rendre invisible l’apport des communautés traditionnelles elles-mêmes. À l’inverse, on considère ces dernières comme une menace pour les biens naturels au lieu de soutenir l’effort de gestion des ressources naturelles qu’elles ont réalisé depuis très longtemps.

Nous illustrerons notre propos à l’aide du cas guatémaltèque. En 1989, est créée la Loi sur les aires naturelles protégées et un an plus tard, la Réserve de la biosphère Maya (RBM) d’une superficie de 2,1 ha. La création de la RBM a entraîné des restrictions dans l’accès aux ressources pour nombre de populations locales qui en dépendaient et qui n’ont pas été prises en compte. La définition de la RBM visait une stratégie de partage et délégation de l’administration des ressources naturelles présentes dans la zone d’usages multiples. Pourtant, les communautés qui vivaient à l’intérieur et aux abords de la réserve durent livrer une importante mobilisation pour obtenir de se constituer en coadministrateurs de cette zone. Actuellement, les territoires aux mains des communautés comptent parmi les mieux conservés et les fonds investis pour prévenir et combattre les incendies, contrôler et surveiller la zone et l’exploitation forestière provient de la gestion des ressources naturelles par les communautés elles-mêmes. 23 ans après la création de la RBM, les images satellites de la couverture forestière dans le Petén montrent que la gestion collective des forêts permet de maintenir la couverture forestière.

Transformation de la couverture forestière de la Réserve de la Biosphère Maya, 2006-2010. Délimitée en orange, la zone de gestion forestière communautaire (et deux concessions forestières industrielles). Source : Page web de la RBM du gouvernement

Évidemment, au début de l’attribution des concessions dans le Petén, l’objectif principal de la participation communautaire était la conservation de la biodiversité. Pourtant, un espace s’est ouvert grâce auquel les populations locales ont obtenu de pouvoir définir leur propre position sur la question. Cela a impliqué d’accepter certaines règles qui durent, bien entendu, être négociées par la population.

D’après l’observation réalisée pendant la visite de terrain au Cameroun, les populations indigènes ont été les principales affectées par la création des aires naturelles protégées3 . Les Bakas, population de chasseurs-cueilleurs qui vivaient d’une manière semi-nomade sur de vastes territoires avaient subi les conséquences d’une politique de sédentarisation forcée pratiquée à partir des années 1970 ; politique qui les avait obligés à changer de mode de vie entraînant des conséquences désastreuses sur leurs moyens d’existence et leur culture. Pour ces peuples, l’accès aux forêts et à leurs ressources a été rendu plus difficile par la création des aires naturelles protégées.

La situation des peuples indigènes du Cameroun ressemble à celles des communautés extractrices de Uaxactún et Carmelita dans le Petén guatémaltèque. Ayant pratiqué l’extraction forestière depuis près de cent ans, tout en laissant une forêt en excellent état de conservation, ces dernières ne pouvaient comprendre pourquoi au milieu des années 1990, leurs activités traditionnelles se voyaient restreintes du jour au lendemain, à cause du processus d’attribution de concessions dans la zone d’usages multiples de la Réserve de la Biosphère Maya.

Les communautés locales doivent lutter pour placer les personnes au centre de la politique de conservation, afin de trouver des solutions qui fonctionnent pour les gens et permettent la durabilité des ressources naturelles sur le long terme. Les habitants de ces communautés doivent se constituer en autogestionnaires de leurs ressources. Toutefois pour y parvenir, il est nécessaire d’impulser une lutte sociale. Celle-ci ne peut aboutir sans adopter des formes d’organisation qui soient réellement représentatives des intérêts collectifs. Il faut également un accompagnement coopératif vraiment axé sur la consolidation des capacités et pas seulement fondé sur des mesures palliatives ou sur l’activisme de la coopération internationale.

La gestion communautaire des forêts

Les communautés locales dans leur combat pour survivre se sont adaptées au milieu qui les entoure. Les Bakas du Sud-est camerounais sont devenus chasseurs et cueilleurs des produits de la forêt. Dans le cas guatémaltèque, les communautés traditionnelles du Petén se sont converties en extractrices de produits non-ligneux et développé une agriculture limitée aux cultures d’auto subsistance. Les activités que chacune de ces cultures ont adoptées sont conditionnées par l’environnement et leurs pratiques sont le produit d’une construction correspondant à une période de leur histoire. Elles sont passées par des processus d’adaptation, résultant de la cohabitation avec leur milieu.

Il est naturel qu’une communauté locale ne parvienne pas à imaginer une activité économique qu’elle n’a jamais réalisée auparavant. Néanmoins, cette difficulté à transformer ses activités productives, ne doit pas nécessairement signifier qu’elle doive maintenir éternellement les mêmes modes de vie.

L’organisation communautaire pour la gestion des forêts au Guatemala

Les deux expériences d’ACOFOP et de Ut’z Ché relatées ci-dessous ont à voir avec la revendication des communautés indigènes et paysannes de leurs droits à la gestion de la terre et des forêts sur leurs territoires. Les deux sont très significatives des compétences que les organisations communautaires ont réussi à construire, au point de modifier les relations de pouvoir et les idées enracinées au sein du système institutionnel guatémaltèque.

Ces expériences ont deux caractéristiques en commun :

  • Premièrement elles s’inscrivent dans le cadre de structures de second niveau, c’est-à-dire des plate-formes qui réunissaient les différents mouvements communautaires.

  • Deuxièmement, elles se caractérisent par la recherche de reconnaissance du droit de gérer de manière effective certaines forêts, par le biais de l’adjudication d’une concession ou par celui de l’accès aux bénéfices de politiques forestières publiques sur leurs propres territoires.

L’expérience d’ACOFOP, dans le Petén, au nord du Guatemala

Dans le nord du département du Petén, l’accès aux ressources naturelles était conditionné au fait de rester sur le territoire. Cela n’impliquait aucun type de droit formel d’usage, particulièrement dans un contexte de guerre qui favorisait l’accès aux ressources fondé sur la discrimination et le favoritisme envers des groupes politico-militaires. Pendant les années de guerre au Guatemala (de 1960 à 1996), toute forme d’organisation sociale pour la revendication de droits était en lien avec les mouvements de guérilla. Dans ce contexte, la criminalisation de l’organisation décourageait la population de toute aspiration à la lutte, à moins qu’elle ne s’exprime par la voie des armes. C’est seulement à partir des accords de paix en 1996 que la mobilisation sociale pour la revendication des droits citoyens fut de nouveau possible. Ce sont dans ces conditions historiques particulières que les mouvements sociaux se sont structurés et ont donné naissance à différentes organisations, qui ont tiré profit des expériences intenses d’organisation et de mobilisation qui avaient été menées dans la clandestinité durant les années de guerre.

Lorsque le gouvernement du Guatemala décide de commencer le processus d’octroi de concessions dans la RBM, les entreprises d’extraction de bois traditionnelles commencent à se faire valoir comme la meilleure option pour en être les bénéficiaires. Arguant qu’ils disposaient d’installations, de la capacité technique et du capital nécessaire pour exploiter le bois, ils s’organisèrent au sein des dénommées « AIMPE » (Associations d’industries d’exploitation du bois du Petén) dans le but d’écarter toute structure susceptible de leur faire concurrence dans le processus d’adjudication.

Cette manœuvre de l’industrie traditionnelle d’exploitation du bois fut une leçon importante pour les communautés, qui pour leur part, s’efforçaient d’obtenir des concessions. C’est alors, en 1995, que se forma le « Conseil consultatif de Communautés forestières du Petén » (CONCOFOP). C’est lui qui sème le germe du processus de gestion forestière communautaire dans le Petén. Comme il était nécessaire d’inscrire l’organisation dans le cadre légal guatémaltèque, une association fut constituée qui se nommera désormais « Association de communautés forestières du Petén (ACOFOP) » et la lutte commence pour obtenir la gestion communautaire de l’exploitation forestière.

La lutte peut se décliner en deux phases : d’abord l’accès à la forêt pour les communautés qui habitaient à l’intérieur de la RBM ; ensuite l’accès à la forêt pour celles qui vivaient aux alentours mais qui malgré tout en étaient dépendantes.

Illustrons ces deux situations à l’aide de quelques exemples :

Les communautés Uaxactún et Carmelita

Ces deux communautés situées au cœur de la RBM sont connues pour résider depuis un peu plus d’un siècle au même endroit. Malgré leur situation géographique et leur culture d’extraction de produits non-ligneux, elles ne sont pas pressenties comme candidats privilégiés pour l’adjudication de leur territoire.

Carmelita a décidé d’adopter la figure de coopérative et Uaxactún de son coté, celle de “Société civile, du fait que les modes d’organisation locaux n’ont pas été cataloguées comme recevables pour être pris en compte dans l’attribution d’une concession.

Bien que leurs droits n’aient pas été enregistrés par le biais d’un contrat de concession, les communautés disposaient déjà de droits d’usage acquis du fait qu’elles préexistaient à la création de la RBM. Pourtant, elles durent en passer par un processus de licitation et bien que leur territoire ait été restreint par les délimitations liées à l’attribution de concession, cela leur a permis de devenir fournisseurs de produits forestiers auprès d’intermédiaires et de se transformer en leurs propres patrons, capables d’exporter directement.

Le cas de la société civil Árbol Verde

Un groupe de neuf communautés ont décidé de s’organiser sous la forme juridique de « société civile » afin de bénéficier d’une concession. Commencent les démarches auprès du Conseil national des aires naturelles protégées, chapeautées par une structure de second niveau et soutenues par les 22 organisations communautaires qui en faisaient partie.

Les neuf communautés sont situées à l’extérieur de la forêt destinée à être donnée en concession, pourtant justifiant de leur influence sur la zone, ils parviennent à s’imposer et à se voir doter d’une unité d’exploitation s’étendant sur 64.973 ha.

Actuellement, il existe dans le Petén cinq autres unités d’exploitation qui ne résident pas dans les forêts dont elles sont concessionnaires.

Aujourd’hui ACOFOP est une organisation jouit d’une représentation sociale et politique dans le cadre du processus forestier communautaire du Petén guatémaltèque et il constitue une référence en matière de régénération naturelle de la forêt primaire. Actuellement, 350 000 ha de forêt sont exploités et la tendance est à l’augmentation de la quantité de forêts aux mains des communautés.

L’expérience de Ut’z Che’ dans l’Altiplano guatémaltèque

La création de l’association Ut’z Che’ (qui signifie le bon arbre en langue maya) est liée à l’approbation de la Loi forestière guatémaltèque en 1996. Celle-ci a introduit un programme d’aides appelé PINFOR , un instrument politique qui avait été élaboré pour les grands propriétaires terriens individuels et dont les communautés locales et leurs territoires étaient de fait exclues. Malgré cela, quelques communautés, qui plus tard se regroupèrent au sein d’Ut’z Che’, parvinrent à trouver le moyen d’accéder à ce programme.

La conservation des forêts commença à devenir une question cruciale pour les communautés quand la déforestation commença à avoir un impact sur leurs moyens de subsistance4. D’un autre coté, l’Institut national des forêts ne reconnaissait pas les manières dont les communautés exploitaient leurs forêts, ce qui provoquait des conflits entre les communautés et les fonctionnaires. La création de l’association Ut’z Che’ en 1996 répondait également à l’inquiétude partagée par les communautés ayant accédé aux aides financières, quant à la durée de l’octroi de ces aides. Celle-ci était limitée à cinq années, ce qui ne correspondait en rien aux cycles de gestion de la forêt. Au terme de cette période, surgissait la question : « comment allons-nous continuer à exploiter, conserver ou tirer profit de ces forêts ?»

C’est pour tenter d’apporter des réponses à cette incertitude que le groupe de communautés forme l’association Ut’z Che’, à partir d’échanges d’expériences entre communautés pour discuter de l’accès communautaire au programme d’aides et à son financement. Ut’z Che’ compte actuellement 33 organisations de base, qui regroupent 32000 personnes5.

Les objectifs partagés par les organisations membres sont celles de se soutenir mutuellement, apprendre les unes des autres et trouver des solutions conjointes aux principaux besoins et problèmes, l’objectif principal restant d’améliorer la qualité de vie des populations.

Les objectifs d’Ut’z Che’ sont :

  • créer des capacités locales ;

  • promouvoir la reconnaissance de la gestion communautaire des forêts, que la loi ne mentionne pas ;

  • maintenir un flux d’assistance technique et financière en direction des organisations de base ;

  • parler d’une même voix pour avoir une incidente politique.

Cet objectif est central dans le propos que ce texte essaie de développer. En effet, la capacité de peser sur les politiques publiques développées par les organisations membres d’Ut’z Che’ (conjointement avec les réseaux nationaux auxquels elles appartiennent comme l’Alliance nationale de foresterie communautaire) est très significative. Ce processus d’incidence a permis des changements importants dans la modification du cadre normatif au Guatemala.

Des capacités qui doivent être renforcées

Malgré les avancées, il reste des défis à relever et des compétences à consolider et renforcer, comme la participation et la démocratie au sein des communautés. En particulier en ce qui concerne les questions de genre ou les relations entre les générations auxquels il faudrait faire plus de place. Par ailleurs, des attitudes très autoritaires persistent dans les communautés. Il faut aussi mieux planifier les activités et mieux évaluer les résultats. Plusieurs programmes ont été développés sans planification préalable, seulement à titre d’essai, ce qui a affaibli l’organisation communautaire et a eu un impact négatif sur la consolidation de la représentation au niveau national et sur l’incidence politique.

Les forêts communautaires au Cameroun

Concessions forestières problématiques

La législation forestière adoptée par le Cameroun en 1994, sous la pression de la communauté internationale a permis des transformations significatives quant à la reconnaissance de la participation des populations locales dans l’administration des forêts. Principalement, la loi établit la possibilité de créer des concessions forestières communautaires.

Néanmoins ce nouveau cadre normatif a eu des effets pervers.

  • Une tendance, de fait, à considérer comme « forêts communautaires », exclusivement les concessions forestières communautaires, laissant de côté toutes les forêts qui étaient gérées par les communautés lorsque celles-ci ne disposaient pas d’appui légal pour le faire. Les polygones rectilignes délimités au moment de définir une concession communautaire rompent les schémas d’usage traditionnel et définissent les limites de manière arbitraire.

  • Une grande quantité de concessions communautaires ont été créées depuis la publication de la loi, mais il semble que dans la majorité des cas, cela n’a pas profité aux populations locales dans leur ensemble. De plus, la mise en place des concessions forestières communautaires provoque une série de changements de grande ampleur dans les communautés. Les schémas traditionnels d’autorité fondés sur les familles et les lignages sont rompus. L’imposition depuis l’extérieur de mécanismes administratifs favorise l’apparition de nouveaux acteurs en cela qu’elle transfère beaucoup de pouvoir à des personnalités fortes, les « élites » qui ont de l’entregent en dehors de la communauté et savent lire, écrire et compter. En réalité, il s’est produit souvent des phénomènes d’accaparement par ces personnages de la rente obtenue de l’exploitation des forêts octroyées en concession.

Pour innovatrice qu’elle ait pu être, l’application pratique de la loi de 1994, n’a pas donné les résultats escomptés en matière de de transfert aux communautés de la gestion des forêts. Les raisons sont multiples et résident autant dans la non-prise en compte des systèmes – divers et complexes – d’organisation et de gestion locale des ressources forestières préexistants, que dans les difficultés d’application des textes normatifs dans un contexte d’état de droit encore fragile.

Le processus d’exclusion est encore plus important lorsqu’il s’agit des populations Bakas. Bien que la gestion de la forêt communautaire ait un impact sur des ressources primordiales pour leur subsistance (fruits et plantes médicinales), ces populations ont été complètement tenues en marge des processus de prise de décision. De nombreux Bakas ne savent pas ce que signifie le terme « forêt communautaire » et encore moins qu’il peut en exister un dans leur communauté (village).

Actuellement certains dirigeants communautaires cherchent de nouvelles formes de reconnaissance qui puissent permettre aux communautés traditionnelles de revendiquer leurs droits, en préservant leurs formes de vie traditionnelles.

L’expérience de la coopérative agro-forestière de la tri-nationale, CAFT

À partir du processus d’organisation collective pour la défense de leurs forêts, neuf communautés de la région de Ngoyla – au sud-est du Cameroun –, ont décidé de se regrouper au sein de la coopérative CAFT, afin de relever les défis et les difficultés communes que constitue la gestion de leurs forêts. L’accès aux dispositifs juridiques de création des concessions forestières communautaires et le développement de schémas de gestion entrepreneuriale des ressources ont rendu nécessaire des moyens financiers et des compétences que les communautés ne possédaient pas de façon individuelle.

La coopérative tente de promouvoir un modèle de gestion des forêts de la région différent de celui, fondé sur l’exploitation commerciale du bois, pratiqué généralement au Cameroun : elle cherche à développer la commercialisation des produits non-ligneux et la valorisation des services que les populations locales apportent pour la gestion et la protection des forêts.

Cependant, le développement de ces activités n’est qu’à ses premiers pas et l’action collective est confrontée à d’importantes difficultés, venant tant de l’intérieur que de l’extérieur des communautés. Si, jusqu’à maintenant, les villages membres de la CAFT ont pu s’organiser relativement facilement, la situation menace de changer sensiblement dans les prochaines années : l’arrivée de l’exploitation de bois industrielle et le développement de projets miniers dans la région pourrait entraîner des modifications importantes des relations de pouvoir, obligeant les communautés locales à réadapter, à ces nouvelles conditions, leurs stratégies de défense de leurs droits.

Difficultés dans les forêts attribuées en gestion communautaire

Les communautés ont vécu sur le territoire depuis des temps immémoriaux et ont constitué leurs formes d’usage et d’utilisation des ressources, d’organisation sociale, etc.. La création des municipalités et avant, des délimitations territoriales établies par l’État, a été à l’origine de la formation de nouveaux territoires, de nouvelles formes d’organisation sociale. La délimitation des ressources disponibles a imposé des changements qui n’ont pas forcément apporté des modes harmonieux de cohabitation avec l’entourage.

Des groupes ethniques de la forêt équatorienne, traditionnellement semi-nomades, cueilleurs et chasseurs comme les Bakas ont été sédentarisés et réinstallés dans des territoires qui ne leur ont même pas été assignés en propre. Ils s’y regroupent en qualité de « colons », dépendants des groupes ethniques reconnus comme ayants-droits sur les terres. L’impact sur leurs modes de vie a été terrible.

Les conflits causés par l’imposition du système de forêts communautaire ont discrédité le modèle en tant qu’instrument pour la revendication des droits des communautés traditionnelles. Néanmoins, face à l’autre modèle de gestion des forêts majoritaire au Cameroun, celui des grandes exploitations forestières commerciales, les systèmes de concessions forestières communautaires, même si elles restent très vulnérables, pourraient offrir aux communautés des opportunités pour consolider leurs positions et défendre leurs droits. C’est de ce thème qu’il sera question, ci-après.

Quels outils, quels mécanismes d’apprentissage, quels types de gestion entrepreneurial et de gouvernance communautaire sont nécessaires pour permettre le développement de ces processus ?

Adopter de nouveaux modes de vie ou comment se créent les conditions pour l’apprentissage et l’action collective

Les formes d’organisation sociale et les normes locales, loin d’être immuables se transforment constamment. Les changements qui se produisent dans le monde sont de plus en plus rapides. Il devient urgent de rechercher des mesures capables de satisfaire les revendications pour les droits locaux. Dans des sociétés répressives et\ou marginalisées, l’organisation sociale est la seule manière d’y parvenir. Si jusqu’à présent on connaît les formes « traditionnelles », nous sommes dans un monde globalisé qui exige de nouvelles formes d’organisation pour affronter de nouvelles menaces qui pèsent sur les communautés locales.

Avec toute l’offensive véhiculée par les mécanismes juridiques, qui répondent aux intérêts de systèmes mercantilisés, surgissent néanmoins des espaces – bien qu’ils n’apparaissent pas de manière évidente – susceptibles d’être utilisés pour mener la lutte sociale.

Il ne faut pas laisser au seul État la mission de définir et faire appliquer les politiques de gestion des ressources naturelles. Pour que ces politiques soient viables à long terme, elles doivent s’appuyer sur les formes d’organisation et les structures déjà existantes localement et prévoir des mécanismes de dialogue, de participation des organisations de producteurs et de représentation des communautés forestières. A défaut, les sociétés rurales et forestières courent le risque de se déstructurer et de se perdre irrémédiablement – comme cela semble être le cas pour les Bakas –, en même temps que se perd la biodiversité des milieux naturels où vivent ces sociétés.

Toutes les dynamiques décrites se développent dans un contexte de corrélation de forces politiques très inégale, qui désavantage les communautés locales. Ce que nous appelons habituellement le politique et l’économique sont fortement liés.

La création ou le renforcement des organisations locales pour la gestion des ressources naturelles communes requiert tout un processus d’apprentissage social. Cela demande du temps. Cet apprentissage, en grande partie, est constitué par l’expérience de vie des groupes. Une loi, à elle seule, ne suffit pas à produire un changement. Elle doit se construire dans la pratique, à travers la construction de dynamiques de gouvernance élaborées petit à petit, sans être définies une fois pour toutes dès le départ. Ces processus impliquent nécessairement des bonnes réponses et des erreurs, des réussites et des échecs.

L’alliance des organisations locales en réseaux plus grands est un élément fondamental de ces processus qui permet de croiser les connaissances et de développer des stratégies d’influence plus larges. L’expérience du Guatemala en constitue une illustration claire, du fait que, dans la mesure où les groupes communautaires se sont unis pour lutter ensemble, ils sont parvenus à influer sur les décisions politiques. De plus, ils ont également réussi à apprendre à gérer leurs ressources communes, à en établir les règles de gestion, à corriger des erreurs et à inventer des normes et des règles internes.

L’exploitation globalisante et la nécessité d’organiser l’action collective

Dans un monde toujours plus globalisé, surgissent naturellement les questions suivantes. Est-il nécessaire de s’organiser ? Et quelle est la forme d’organisation que doit adopter chaque communauté locale dans le monde pour pouvoir résister dans le cadre de la défense de son territoire ?

Il est important de souligner que la lutte pour les ressources est liée à des intérêts concernant les moyens d’existence et de ce fait, une lutte de pouvoirs oppose généralement une élite dominante et les grandes majorités dépossédées.

Dans le cas du Guatemala, après la formation de fronts de lutte régionaux, tels qu’ACOFOP et Ut’z Che’, un processus national a vu le jour sous le nom « d’Alliance nationale d’organisations forestières communautaires ». La construction d’un processus d’encore plus grande ampleur est à l’œuvre, « l’Alliance mésoaméricaine des peuples et des forêts, AMPB ». Cela permet d’inclure de nouveaux secteurs sociaux qui soutiennent chaque jour plus les mouvements sans pour autant négliger les besoins locaux.

Il faut prendre conscience du fait que, dans la conjoncture actuelle, les interventions au niveau local ne suffisent pas pour changer les rapports de force. Il s’agit d’une crise globale dont les sociétés rurales sont les premières victimes.

Afin de modifier les relations de pouvoir qui ont déterminé la situation actuelle de contrôle sur la gestion des ressources naturelles par un groupe réduit d’acteurs, il faut construire de nouvelles alliances, non seulement au niveau national mais aussi au-delà des frontières nationales : la mobilisation de tous les groupes sociaux, paysans et indigènes a acquis une dimension planétaire et il convient de se joindre à cette dynamique.

Le Popopl Vuh, livre sacré des Mayas Quiché du Guatemala, exhorte que tous se lèvent, qu’on appelle tout le monde, qu’il n’y ait ni un groupe, ni deux groupes des nôtres qui restent en arrière des autres.

La nécessité d’en finir avec les préjugés

Que nous n’avons pas d’expérience ! Peu importe. Dans les luttes sociales, la seule manière d’apprendre a été de mettre la main à la pâte. De fait, rien n’est possible sans un vrai soutien de la base.

Que tous doivent se mettre d’accord ? Cela ne signifie pas nécessairement qu’il doive y avoir un vote unanime mais que cela soit une décision de la majorité, qui doit apporter son soutien.

Au début c’est dur ? Personne n’a jamais dit que faire partie d’un mouvement social était chose facile. De fait, souvent on peut même en arriver à avoir des martyrs mais cela ne doit pas nous amener à abandonner la tentative.

Comment commencer ? Avec un groupe (même réduit) de personnes intéressées au bénéfice de tous et qui augmente peu à peu. La meilleure façon d’apprendre, c’est de commencer. Commencer avec des moyens qui n’engagent pas beaucoup, pour pouvoir ensuite manier des ressources plus complexes… petit à petit.

Est-ce utile de connaître d’autres expériences? Seulement si tu es disposé à adapter tout que tu as appris à ta propre réalité. Rien ne fonctionnera si tu te limites à penser que tout cela ne te sert à rien. Sur la voie de l’action revendicative, les erreurs sont communes et les échecs vécus par d’autres sont importants pour avancer plus rapidement.

Quand s’arrête la lutte ? Jamais. Dans le monde, existe un système d’exploitation de l’Homme par l’Homme qui aura des adeptes, qui se soucient seulement de leurs profits et que le bien-être général n’intéresse pas.

Même en Amérique latine où un tiers des forêts sont légalement aux mains des peuples indigènes et des communautés, les droits restent fragiles, et objets de menaces croissantes causées par l’expansion de l’agro-industrie ; de l’exploration des ressources du sous-sol et du développement massif des grands projets d’infrastructure. Le risque d’un recul des droits communautaires sur les forêts, gagné péniblement, augmente, même dans un pays comme le Brésil, qui a pourtant été leader dans la reconnaissance de ces droits et plus récemment dans la réduction de la déforestation.

La disposition à définir et respecter les règles est une condition de base. Dans le cas du Petén guatémaltèque, lorsque l’exploitation du bois a débuté, les groupes communautaires se limitaient à vendre les arbres en pied pour en obtenir quelque bénéfice. Mais, l’achat d’une scierie a permis à certains d’entre eux de démontrer qu’il était possible de créer plus d’emplois, de mieux placer les produits locaux et d’améliorer ainsi leur condition. Cela a encouragé chacun des groupes à franchir un pas qualitatif.

En revanche, un autre groupe a laissé se former un « élitisme communautaire » et une mauvaise administration locale, au point de finir absorbé par le marché, après avoir dû vendre ses moyens de production. Il convient de souligner que dans ce cas précis, la structure communautaire de second niveau a joué un rôle crucial, dans l’exercice d’analyse collectif qui a permis à toutes les autres communautés de tirer les leçons de cette expérience.

Personne ne peut évaluer lui-même ses expériences. L’importance de l’adaptation aux changements et l’apprentissage est essentielle pour pouvoir avancer.

 

1 Ruin is the destination toward which all men rush, each pursuing his own best interest in a society that believes in the freedom of the commons. Freedom in a commons brings ruin to all”. Hardin, Garret, “The Tragedy of Commons ». Science (162) 1968. 1243-1248.

2 Ostrom, Elinor. “El Gobierno de los bienes comunes”, 2000.

3 RRI, Respetando Los Derechos, Proporcionando Desarrollo. Reformas en la tenencia forestal a partir de Río 1992, Mayo 2012.

4 et les concessions minières.

5 S. Elías, A. Larson, J. Mendoza, Tenencia de la tierra, bosques y medios de vida en el altiplano Occidental de Guatemala, CIFOR, Programa de Estudios Rurales y Territoriales (PERT) de la Facultad de Agronomía, Universidad de San Carlos de Guatemala, RRI, 2009.

5 Pour plus d’information voir la Fiche du Dossier sur la gouvernance des forêts au Guatemala : « L’Association de Foresterie Communautaire du Guatemala : Ut’z Che’ » réalisée par Pierre Merlet.

Juan Ramon Girón Manzanero était Sous Directeur d’ACOFOP quand il a réalisé ce document. Il est membre d’AGTER.

Traduction de l’espagnol: Hélène Roux (membre d’AGTER)

Bibliographie

Bibliographie pour aller plus loin :

  • Ostrom, Elinor. El Gobierno de los bienes comunes. La evolución de las instituciones de acción colectiva. Fondo de Cultura económica, segunda edición en español, 2011.

  • Rights and Resources Iniciative (RRI). Respetando Los Derechos, proporcionando Desarrollo Reformas en la tenencia forestal a partir de Río 1992, Mayo 2012

  • Elías, Silvel; Larson, Anne; Mendoza, Juan. Tenencia de la tierra, bosques y medios de vida en el altiplano Occidental de Guatemala. Editorial de Ciencias Sociales, 2009

  • Merlet, Pierre (aGter). La Asociación de Forestería Comunitaria de Guatemala: Ut’z Che’