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Fonds documentaire dynamique sur la
gouvernance des ressources naturelles de la planète

Les politiques foncières agricoles en Espagne

Rédigé par : Michel Merlet

Date de rédaction :

Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)

Type de document : Étude / travail de recherche

Résumé

Ce document fait partie d’une étude comparative des politiques foncières rurales menée conjointement par Terres d’Europe SCAFR et AGTER avec l’appui de la Chaire d’agriculture comparée d’AgroParisTech. Il porte sur 5 pays européens, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Pologne. Il a été réalisé à la demande du Ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche (France) aujourd’hui Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt.

SYNTHÈSE: POLITIQUES FONCIÈRES ET ÉVOLUTION DES STRUCTURES AGRICOLES EN ESPAGNE

Les systèmes agraires espagnols sont très différents d’une région à une autre, du fait de la grande diversité climatique et environnementale du territoire du pays, mais aussi des spécificités historiques de leur mise en place. L’évolution récente du système de gouvernement, avec la mise en place des Communautés Autonomes, ne se fonde pas seulement sur des différences culturelles ou linguistiques, mais aussi sur ces héritages historiques. Nous ne retiendrons ici de l’histoire agraire espagnole que quelques traits originaux qui nous aideront à re-situer les évolutions récentes des structures agraires et à mieux comprendre les politiques foncières des dernières décennies.

La sortie du féodalisme au XVIIIe et au XIXe siècles s’opère de façons distinctes suivant les régions, en fonction des rapports de force existant entre nobles, bourgeois et paysans. Le « désamortissement » des biens de l’Église et des communaux, la suppression des privilèges de la noblesse ne vont pas déboucher sur des structures agraires identiques dans le Nord atlantique, sur les plateaux du Centre, sur la côte méditerranéenne ou dans les régions du Sud, Andalousie et Estrémadure. Les petites structures de champs clos du Nord atlantique ont bien peu de choses en commun avec les latifundia d’Andalousie.

À la fin du XIXe siècle, la structure agraire du pays est très polarisée, et les modes de faire valoir indirects occupent un place importante, en particulier sur les grands domaines du Sud, loués ou cédés en métayage aux paysans pauvres. Parmi les conséquences majeures du régime du Général Franco pour le secteur rural, il convient de mentionner 1/ l’absence de réforme agraire et 2/ la faible structuration des organisations paysannes. Cela explique sans doute dans une large mesure les différences avec les situations de la France ou de l’Italie. Par ailleurs, l’intégration tardive à la Communauté Européenne a conduit à la mise en place de mesures d’ajustements structurels accélérés, qui ont été à la fois la conséquence de politiques des structures fortement inspirées par les politiques d’autres pays européens, en particulier la France, mais qui ont eu des effets souvent très différents et même parfois opposés du fait de la faiblesse des mouvements paysans et de la rapidité des transformations.

La volonté d’arriver très rapidement à des structures de production susceptibles d’être compétitives au niveau du marché européen a amené les gouvernements espagnols successifs à ne prendre en compte qu’une partie très minoritaire des producteurs en tant qu’exploitations potentiellement viables. La diversité des situations n’a certainement pas été un facteur favorable à la mise en place d’un projet paysan national, comme cela a été le cas en France après la seconde guerre mondiale.

\Le résultat de cette situation a été une évolution rapide des structures, dans la plupart des régions, qui s’est accompagnée d’un exode rural extrêmement rapide, d’une désertification des campagnes, et de l’apparition de productions mécanisées et extensives en grandes cultures, mais aussi d’une agriculture marchande dédiée à l’exportation fondée sur l’usage massif de main d’œuvre en partie immigrée et bon marché . L’évolution de la petite production familiale semble avoir été globalement très difficile, et avoir dépendu dans une très large mesure des différents types de subventions liées aux politiques de la Politique Agricole Commune, qui n’avaient que dans leurs libellés l’objectif de développement de l’agriculture familiale. Les modalités d’application de celles-ci ont été décidées dans des rapports de force qui laissaient la part belle aux intérêts les plus puissants. Ainsi, paradoxalement, la petite production n’a pu se consolider et se maintenir que quand elle a bénéficié de politiques qui étaient également favorables aux grands propriétaires, comme cela a été le cas pour les plantations d’oliviers en Andalousie.

L’étude des mesures spécifiques de politiques des structures, comme les différentes lois sur le fermage, l’absence de politiques significatives de redistribution foncière et de contrôle des marchés fonciers (d’achat et de location, après la modification du statut du fermage) montre que celles-ci ne peuvent en aucun cas s’appliquer de façon identique dans des situations de rapports de force très différents. Les conditions économiques présentes au moment de leur mise en place sont également fondamentales à prendre en considération.

L’objectif de la politique agricole espagnole n’a pas été, au cours des années post franquiste, de nourrir le pays, ou de garantir une évolution des campagnes socialement et politiquement optimale pour le pays tout entier. Cela semble avoir été d’emblée d’assurer la compétitivité du secteur agricole marchand (c’est à dire d’une minorité d’exploitations) dans l’espace européen. Dans ces conditions, bien que l’ histoire agraire de l’Espagne soit proche de celles d’autres pays européens comme l’Italie ou la France, ses caractéristiques se rapprochent de celles de nombreux pays latino-américains ou d’Europe de l’Est, avec le développement d’un capitalisme agraire et une destruction très rapide de la majorité de sa paysannerie. Les groupes dominants y sont, semble-t-il, intéressés par la capture opportuniste de rentes de situation, le plus souvent liées à la PAC, mais aussi à l’utilisation de la main d’œuvre immigrée, ou sans doute aussi dans de nombreux cas à des phénomènes de capitalisation de plus-values immobilières.

Il serait intéressant de comparer ces évolutions avec celles qu’a connu le Portugal, qui semble répondre aux mêmes mécanismes avec une intensité encore plus forte, et aux phénomènes que connaissent aujourd’hui les nouveaux pays membres de l’Union Européenne à l’Est.

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