Un processus de révision du Code minier est en cours à Madagascar dans la plus grande discrétion. A tel point que les organisations de la société civile [1] ont dénoncé l’absence de cadre formel et règlementé des réunions du Comité conceptuel lié au Ministère des Mines. Les autorités malgaches donnent néanmoins rendez-vous aux investisseurs du monde entier au Salon International sur les Mines et le Pétrole de Madagascar du 23 au 25 septembre 2015 à Antananarivo pour y révéler le nouveau Code minier [2].
Depuis 2005, Madagascar fait déjà figure de « Nouvel Eldorado des compagnies minières et pétrolières ». Une réputation que le pays doit à son Code minier et sa Loi sur les Grands Investissements Miniers, qui accordent des avantages importants aux sociétés minières et pétrolières, ne laissant que des miettes à l’Etat, aux collectivités décentralisées et aux communautés locales.
Mais l’avant-projet du futur code [3], qui remplacera ces deux textes de loi en vigueur, fait de la surenchère en cédant encore plus aux grands investisseurs, nationaux et étrangers, au mépris de l’intérêt national.
A travers ce premier article, le Collectif TANY dénonce cette logique malsaine qui met en danger les petits opérateurs miniers, les communautés locales, et l’ensemble des générations futures malgaches.
Permis minier et titre foncier : des projets source d’accaparement des terres
D’emblée, l’Avant projet pérennise la menace de spoliation des droits sur les terres. Ce risque déjà présent dans le Code minier de 2005 est avéré dans de nombreux cas documentés par le Collectif TANY dans plusieurs régions de Madagascar [4] et [5]. Expulsions, pertes de droits légitimes, compensations d’un montant faible et inacceptable, tel est le sort réservé aux populations locales victimes d’accaparements de terres, y compris dans le secteur minier.
Dans son troisième alinéa de l’article 1.1, l’avant-projet stipule que « Nul titulaire de permis minier ne peut s’installer ou procéder à quelconque opération d’extraction [dans le cadre de l’activité de recherche ou de l’activité d’exploitation] sur un site inclus dans son périmètre minier sans être propriétaire [foncier] du site ou, à défaut, sans avoir épuisé la procédure d’identification et d’information des propriétaires et convenu de contrat de bail ou d’autre accord avec les propriétaires fonciers ou avec les autorités locales ».
Déjà contesté auparavant par un groupe d’organisations de la société civile malgache [6], ce premier point porte gravement atteinte à la souveraineté nationale malgache. En effet, cet article 1.1 sous-tend que les sociétés minières, notamment étrangères et transnationales, deviennent propriétaires des terres, au lieu de se contenter d’extraire le produit du sous-sol pour une durée limitée dans le temps.
Cela réduit dangereusement le patrimoine légué aux générations futures malgaches.
Depuis plusieurs années, le Collectif dénonce la loi 2007-036, qui permet aux sociétés étrangères d’acheter et d’acquérir des terrains en pleine propriété. L’autorisation accordée par cette loi a brisé un tabou, en contradiction avec le Code foncier en vigueur qui interdit aux étrangers l’accès à la propriété foncière. D’ailleurs, pour contourner ce frein, de nombreux opérateurs économiques d’origine étrangère ont acquis la nationalité malgache au cours des dernières années [7], sans forcément résider de manière permanente à Madagascar...
Ces éléments aggravent la fuite en avant dans l’octroi de propriétés foncières aux investisseurs au détriment de l’écrasante majorité des citoyens.
N’étant pas un occupant traditionnel, le grand investisseur minier est poussé à acquérir un titre foncier. Pour le commun des Malgaches, le titre foncier reste inaccessible en raison de son coût élevé. Le délai d’obtention constitue un autre handicap car la délivrance d’un titre intervient très souvent plusieurs années après le dépôt de la demande.
En revanche, les sociétés, notamment étrangères, bénéficient de l’appui inégalable de l’EDBM – Economic Development Board of Madagascar, une structure mise en place en 2006 et financée par la Banque Mondiale, « pour renforcer la compétitivité du secteur privé national, accroître l’investissement direct étranger et fournir un service d’accompagnement à l’endroit des investisseurs dans le cadre de leur implantation » [8]. Dans ces conditions, ces investisseurs ont la voie libre pour s’octroyer des terres.
Si l’article 1.1 de l’avant-projet est maintenu, seuls les nationaux très riches et les sociétés étrangères pourront entreprendre des activités minières. Les perspectives sont très inquiétantes. Le document « Etat et perspectives du secteur extractif » publié récemment par le Projet TARATRA [9] précise que « sachant que Madagascar a une superficie de 592.000 km2, si on prend la logique qu’une Compagnie minière peut avoir accès à 10.000 km2 [pour un permis de recherches] [10], cela signifie que 60 sociétés peuvent couvrir tout le territoire. Madagascar est le seul pays qui accorde une telle surface, bloquant les autres initiatives.»
Criminalisation des manifestations : la volonté d’anéantir toute résistance locale
L’Avant projet va plus loin encore dans sa volonté de protéger les intérêts des sociétés minières. Il criminalise de façon scandaleuse les mouvements de contestation au mépris des droits et libertés des populations riveraines affectées par les impacts négatifs.
L’accaparement de leurs terres, l’absence ou l’insuffisance des compensations, comme la non-réalisation des promesses faites par les sociétés minières au cours de réunions de conciliation, ont conduit des populations locales à manifester.
Désormais, les articles 164 à 170 du Code minier concernant les infractions et les pénalités mettent sur le même plan les exploitants illicites, les voleurs et les receleurs de produits miniers d’une part et les personnes qui manifestent en guise de protestation d’autre part.
Dans l’article 167 du code minier en vigueur, ces manifestants sont clairement ciblés et leurs actions condamnées sans appel à des peines extrêmement lourdes : « Les groupes de personnes qui envahissent et occupent les périmètres miniers réglementairement octroyés à fin d’y entreprendre des activités de nature à empêcher leurs titulaires d’exercer leur profession ou de les spolier de leurs droits, commettent un crime et sont punis d’une peine de travaux forcés de cinq ans à vingt ans et d’une amende de 15.000.000 à Ar 150.000.000 ».
Pour anéantir toute résistance, l’Avant-projet a ajouté un article 170-4 destiné à sanctionner les élus des collectivités décentralisées qui soutiendraient les manifestations des communautés locales, comme on a eu l’occasion de le voir dans le passé : « Les personnes membres du conseil et de l’organe exécutif des Collectivités territoriales décentralisées qui se rendent complices dans la violation de périmètre minier, d’envahissement de périmètre minier, d’activités minières illicites, de ruée, indiqués à aux articles 165 à 170-1 ci-dessus, sont punis des mêmes peines que les autres auteurs, avec une circonstance aggravante. »
La criminalisation de toute résistance locale sert de bouclier aux projets miniers quels que soient les préjudices occasionnés aux populations mais aussi aux salariés. Or plusieurs sujets brûlants sont susceptibles de provoquer des manifestations ici-et-là. Par exemple, le licenciement de 1 100 employés à Ambatovy [11] qui serait dû à la chute du cours du nickel, ainsi que le début des licenciements d’employés par les sous-traitants de QMM-Rio Tinto [12] qui exploite l’ilménite. A cet égard, il est illogique de vouloir délivrer des permis d’exploitation de l’ilménite à d’autres compagnies alors que la multinationale qui extrait et exploite déjà ce minerai à Madagascar est en train de ralentir la production et de licencier des employés à cause de la baisse du cours sur le marché mondial.
L’Etat et les investisseurs promettent aux populations que l’installation des compagnies minières apportera le « développement » mais les cas des sociétés opérant déjà à Madagascar prouvent qu’elles n’hésitent pas à sacrifier les emplois dès que leurs intérêts exorbitants sont en jeu.
Une « garantie de stabilité » qui cède encore plus d’avantages aux compagnies minières
L’irréversibilité des droits de propriété accordés aux exploitants miniers est renforcée par l’article 154 et suivant qui propose « aux investissements miniers » une « garantie de stabilité » portant « sur les régimes juridique, fiscal et douanier, ainsi que sur celui des changes ».
A la différence d’autres pays soucieux d’un rééquilibrage du partage de la rente minière [13], la renégociation de contrats est quasiment impossible à Madagascar sous le Code minier en vigueur. L’avant-projet en rajoute et va dans le sens contraire à l’intérêt national en autorisant des exceptions à cette règle si de nouvelles mesures augmentent les avantages des compagnies minières… « Le promoteur peut solliciter le bénéfice de mesures plus favorables qui pourraient intervenir postérieurement à la date de l’option pour la stabilité. Les nouvelles mesures qui seraient plus défavorables que celles en vigueur au moment de la date de l’option, ne seront pas applicables au promoteur. » (article 154-1)
Vers une prochaine exploitation de l’uranium à Madagascar
Fait remarquable et nouveau, l’avant-projet de Code minier a glissé l’uranium parmi les minerais cités dans ses Dispositions générales de l’article 8 relatif à la « recherche, l’exploitation, la transformation, le conditionnement, le transport et la commercialisation des minerais d’uranium et de thorium, [qui] font l’objet de conventions particulières avec l’Etat selon un modèle de convention-type fixé par voie réglementaire ».
Force est de constater que l’exploitation de l’uranium provoque des dégâts sérieux au niveau de la santé humaine et de l’environnement, alors que les capacités et compétences des communautés et institutions malgaches en matière de prévention, de protection et de sécurité sont encore bien faibles [14].
L’inclusion d’une partie spécifique dédiée à l’uranium au sein de l’avant-projet de Code minier n’a rien d’anodin. Le Collectif TANY appelle à la plus grande vigilance face aux risques posés par la radioactivité et ses impacts graves, ce qui nécessite de prendre le temps d’étudier de manière responsable les capacités dans divers domaines et l’opportunité de mettre en place certains projets miniers prévus à Madagascar [15].
CONCLUSION
L’analyse critique de ces points majeurs de l’avant-projet de Code minier révisé est de très mauvaise augure.
Elle prouve que les nouvelles lois risquent de causer des dégâts incontrôlés et un épuisement des ressources minières du sous-sol de Madagascar sans que la nation malgache n’en tire de bénéfices pérennes.
Elle témoigne de la surenchère dont font preuve les autorités et responsables actuels pour attirer les investisseurs (4 000 permis en attente) à l’aide d’un projet de code minier qui risque de légaliser le bradage des ressources minières.
En conséquence, le Collectif TANY
réitère la revendication d’un moratoire sur la délivrance de permis miniers, c’est-à-dire une suspension de leur délivrance pendant un délai indéterminé, appuyant ainsi une proposition déjà évoquée par des organisations de la société civile malgaches et par la conférence des évêques ;
plaide pour la refonte de l’Avant-projet de Code Minier avec la mise en place d’un groupe de travail plus formel, participatif et inclusif,
- devant prendre le temps d’échanger, de rebâtir chaque point de la loi en faveur d’une répartition juste et équitable des bénéfices entre les communautés locales, l’ensemble de la nation malgache et les sociétés minières,
- réunissant de manière plus organisée et transparente, des représentants des différents acteurs impliqués, dans « un cadre règlementaire pour légaliser et officialiser l’existence nébuleuse des Comités Conceptuels » [16] actuels dont les méthodes de travail improvisées et les dates de réunion changeantes rendent difficile la présence des représentants des organisations de la société civile.
Reste que le travail de révision effectué dans l’Avant-projet de Code minier souffre de lacunes significatives. Plusieurs articles relatifs au Titre V - Obligations attachées à l’exercice des activités minières ne comportent jusqu’à présent aucun développement: C’est le cas de l’Article 94-3.- [Obligation de contribution au développement socio-économique – RSE et « protocole social »], Article 94-4.- [L’obligation de privilégier l’embauche des nationaux] ainsi que l’article 94-5.- [Obligation de transfert de compétence : frais de formation, formation continue du personnel]
Le renforcement de ces articles favoriserait les intérêts de la population malgache. Dans cette perspective, le Collectif TANY réclame
des consultations publiques dans les différentes régions permettant véritablement l’expression de critiques et suggestions de la part des syndicats d’employés des différentes sociétés minières, des communautés locales riveraines des compagnies minières en cours de recherche et surtout d’exploitation à Madagascar,
des réunions nationales formelles et officielles de concertation et d’échanges entre l’Etat, la société civile et les acteurs de la vie économique et sociale afin de réfléchir ensemble de manière sérieuse et approfondie sur une politique minière nationale de gestion et de préservation des ressources, sur une répartition équitable des bénéfices liée à une stratégie économique de développement de tous les secteurs et de formation des ressources humaines et compétences malgaches, sur le respect des droits humains, sur les devoirs et responsabilités des différentes parties.
Dans sa vision, le « Document-cadre de la Politique nationale minière » du MPRS – Ministère auprès de la Présidence chargé des Ressources Stratégiques - d’août 2014, avance qu’« un secteur minier durable, géré dans les règles de l’art constitue une source de rentes pour sortir rapidement de la pauvreté et pour être partagé avec la génération future (…)», un vœu que contredit la teneur de l’Avant-projet de Code minier révisé.
En l’état, le texte ne sert que les intérêts des sociétés minières, au mépris des intérêts supérieurs de la Nation malagasy.
Paris, le 20 août 2015
Le Collectif pour la Défense des Terres Malgaches – TANY
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